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Photo du rédacteurYasser Louati

Que le 17 Octobre 1961 hante Paris et sa préfecture de Police

Dernière mise à jour : 28 nov. 2022


Fatima Bédar, noyée. Achour Belkacemi, tué par balles. Mohammed Djebali, tué en détention. Ahmed Boussaoui, disparu. Ces noms ne disent pas grand-chose au grand public, tout comme la date du 17 octobre 1961 n’avait plus dit grand-chose à tout le monde pendant des décennies. On avait ainsi pu s’adonner à des ratonnades à l’échelle industrielle et en avoir la conscience tranquille pendant trente ans. C’est dire ce que peut bien valoir la vie d’un Arabe en France.

Ce qu’il nous reste, ce sont les images de bus bondés, ces visages tuméfiés, ces regards hagards, les bottes de policiers marchant dans les flaques de sang et cette inscription : « Ici on noie les Algériens. » Cette phrase résume à elle seule la barbarie française qui s’est manifestée dans les rues de la capitale après avoir été laissée libre dans les colonies.

« Le 17 octobre doit continuer de hanter notre mémoire collective »

Les ordres venaient d’en haut et, là-haut, c’était Maurice Papon. Et au-dessus, le Général de Gaulle. Non on ne pouvait pas ne pas savoir ou prétendre que ça avait « dégénéré. » Le système Papon, importé de la guerre contre-insurrectionnelle en Algérie, n’était pas un programme clandestin. Et si De Gaulle a gardé Maurice Papon comme préfet de Paris, il ne pouvait pas ignorer son parcours sous Vichy.

Tout comme les autres crimes coloniaux, le 17 octobre doit continuer de hanter notre mémoire collective. Un monument, une fresque et des roses jetées dans la seine serviront à nos enfants à condition qu’on leur enseigne ce qui s’est passé sans la moindre posture victimaire mais pour qu’ils soient fiers des sacrifices consentis par ceux qui les ont précédés. Les incantations républicaines ne leur garantiront jamais de vivre libres et égaux en droits mais s’ils se nourrissent de luttes et d’espoir, ils pourront donner un sens à ces incantations. Cette date pose cette question à laquelle on ne parviendra peut être jamais à répondre.


Combien de massacres ont été occultés de la mémoire collective pour ne pas ternir le mythe d’une sainte République et d’un Etat impartial ? Les descendants de l’immigration post-coloniale ont la responsabilité première de restaurer leur mémoire sans jamais attendre que d’autres le fassent à leur place. Le fait qu’un massacre ayant fait 300 morts dans les rues de Paris, avec exécutions sommaires dans la cour même de la Préfecture de Police, ait attendu trente ans pour revenir sur la place publique et que — déshonneur ultime — on continue de débattre sur sa reconnaissance, en dit long sur l’état des mentalités. Le racisme rend tolérable la violence de la police et si certains continuent de douter, qu’ils regardent la constance avec laquelle ces derniers traversent les tribunaux sans être arrêtés, et combien les nostalgiques de l’Algérie Française continuent de gangréner les rangs de la police nationale.

« Cette date devra hanter notre mémoire collective pour rappeler à chacun d’entre nous que la barbarie n’est jamais loin »

Contrairement à ce qu’on aime dire, le 17 octobre 1961, ce n’est pas la justice qu’on a assassinée, car la République française était incapable de justice envers les indigènes qu’elle occupait chez eux et qu’elle brutalisait chez elle. Les ratonnades n’étaient pas rares, ils étaient monnaie courante et ce qui s’est passé cette nuit-là n’a été qu’un changement d’échelle et la révélation au monde de quoi était capable la France qui avait réhabilité un collabo notoire pour en faire un préfet, qui plus est de la capitale, au lieu de le juger et le laisser pourrir dans les poubelles de l’histoire.

Il faudrait être fou, ou se mentir à soi même, pour croire que le 17 octobre était un accident. Pour en arriver là, il aura fallu déshumaniser l’autre pour justifier l’injustifiable. Ces témoignages de passants qui encourageaient les policiers et ces mêmes policiers rentrant les mains couvertes de sang qu’ils montraient comme un trophée ne laissent pas de place au doute. Cette date devra hanter notre mémoire collective pour rappeler à chacun d’entre nous que la barbarie n’est jamais loin, qu’on en est jamais prémuni. Les discours identitaires qui monopolisent le débat public devraient tous nous mettre en alerte, mais hélas, comme aucune leçon n’a été retenue du passé, la lutte antiterroriste menée sur fond de suspicion à l’égard de ceux qu’on appelle « les musulmans » ne présage rien de bon. Les envolées lyriques sur la République et ses mythes fondateurs n’empêcheront pas le prochain Maurice Papon d’émerger et de prétendre, quitte à faire couler le sang de nouveau, défendre cette dernière contre « l’ennemi intérieur. » Papon, comme Pétain, estimaient agir pour le bien du pays et le silence complice de bien trop de monde autour d’eux leur a non seulement permis d’agir mais surtout de mourir tranquillement.

Le 17 octobre 1961 n’a été que l’aboutissement d’une déshumanisation des Arabes, des musulmans, des indigènes, entamée il y avait plus d’un siècle, théorisée par les vénérables intellectuels comme Alexis de Tocqueville* ou Ernest Renan**, et justifiée au nom du « droit des races supérieures vis-à-vis des races inférieures » cher à Jules Ferry. Cette date ne devrait pas être la commémoration des seuls descendants de l’immigration post-coloniale, des « Algériens », des « travailleurs musulmans » ou de ceux qui se sont battus à leurs côtés. Elle devrait avant tout être une date pour demander pardon et être à la hauteur des enjeux du présent et surtout ceux du futur. Mais tant que la France sera dirigée par une élite cooptée par ceux qui ont profité de la colonisation et ont commis ces crimes en son nom, et tant que les gouvernés continueront de s’identifier à ces barbares, alors nous ne serons jamais à l’abri d’une répétition de l’histoire.

« Ma génération a une dette envers ceux qui se sont battus pour que cette date soit reconnue»

Certes, les langues commencent à se délier. On ose parler de « sanglante répression. » C’est déjà une avancée qui demande néanmoins à être confirmée par un traitement plus digne des citoyens qui ressemblent à ceux qu’on a massacrés hier. Le symbole est peut-être fort pour certains, le président François Hollande qui reconnaît ce qui s’est passé avec «lucidité au nom de la République », ce n’est presque pas rien. Dommage que cet homme ait manqué de « lucidité au nom de la république » lorsqu’il a porté son projet de déchéance de nationalité et justifié la violence de l’état d’urgence qu’il n’a cessé de renouveler jusqu’à la fin de son mandat. Les témoignages se font de plus en plus rares mais ma génération a une dette envers ceux qui se sont battus pour que cette date soit reconnue. Le plus connu d’entre eux, Mouloud Aounit, nous a quittés il y a déjà cinq ans mais quel héritage que d’avoir éveillé la conscience de millions de personnes et d’être parti invaincu ! Puisse-t-il reposer en paix en attendant que nous puissions, apaisés, un jour, vivre en paix. * « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants.

Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre. Et, s’il faut dire ma pensée, ces actes ne me révoltent pas plus ni même autant que plusieurs autres que le droit de la guerre autorise évidemment et qui ont lieu dans toutes les guerres d’Europe. (…) Le second moyen en importance, après l’interdiction du commerce, est le ravage du pays. Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux. »

Alexis de Tocqueville, « Travail Sur l’Algérie », 1841. ** « Une nation qui ne colonise pas est irrévocablement vouée au socialisme, à la guerre du riche au pauvre. La conquête d’un pays de race inférieure, par une race supérieure, qui s’y établit pour le gouverner, n’a rien de choquant… Autant les conquêtes entre races égales doivent être blâmées, autant la régénération des races inférieures par les races supérieures est dans l’ordre providentiel de l’humanité. L’homme du peuple est presque toujours chez nous un noble déclassé; sa lourde main est mieux faite pour manier l’épée que l’outil servile… Versez cette dévorante activité sur des pays qui comme la Chine, appellent la conquête étrangère… chacun sera dans son rôle. La nature a fait une race d’ouvriers; c’est la race chinoise, d’une dextérité de main merveilleuse sans presque aucun sentiment de l’honneur… gouvernez-la avec justice… elle sera satisfaite; – une race de travailleurs de la terre, c’est le nègre, soyez bon pour lui et humain et tout sera dans l’ordre; – une race de maîtres et de soldats, c’est la race européenne. » Ernest Renan, « La Réforme intellectuelle et morale », 1871

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