top of page

Pourquoi Les Gauches Ne Sont Pas Des Alliés Fiables*

Marche vers l’équité: Si la droite pointe son fusil pour nous stopper, la gauche nous retient avec la corde du paternalisme.



La révolte constante contre le racisme ici en France ou ailleurs en Europe ou en Amérique du Nord est depuis des décennies bridée par des mécanisme de dilution des revendications et de bridage de son potentiel. Cette affirmation n’est pas une nouveauté et bien des observateurs des mouvements de lutte de l’immigration post coloniale ont écrit à foison sur le sujet. Mais au XXI siècle, la génération actuelle engagée dans cette lutte n’a plus l’excuse du manque d’expérience ou de la méconnaissance des relations de pouvoir qui structurent la société française, structurent les mouvements anti-racistes en interne et, en externe, structurent les rapports avec les organisations et personnes issues du groupe dominant.

Alors que la droite ne tente même plus de cacher son racisme, la gauche ne peut être absoute de son rôle historique dans la normalisation consciemment ou inconsciemment. Il n’y aucune différence entre les conservateurs qui font face aux minorités avec le fusil du racisme et la gauche qui les retient avec la corde du paternalisme

Entre les idéaux humanistes proclamés par bien des progressistes, militants et figures publiques se revendiquant être les amis des minorités et le CV de leurs actions, leurs prises de position et la relation de domination entretenue avec malice ou aveuglement, je ne vois aucune différence entre les conservateurs qui font face aux minorités avec le fusil du racisme et la gauche qui les retient avec la corde du paternalisme. Si des siècles de luttes m’ont appris quelque chose, c’est que la suprématie blanche n’est pas une idéologie marginale ou le monopole de la droite.

Les différentes variantes de la gauche ne seront jamais des alliées, objectives ou naturelles, tant qu’elles chercheront à se rendre indispensables en boycottant les actions portées par les racisés pour leur préférer celles portées par les leurs.

Agir ainsi, c’est s’arroger le droit de distribuer les bons points en décidant quelle action contre le racisme, structurel par nature, islamophobie, négrophobie, romophobie, antisémitisme ou autre doit être soutenue.

Distribuer les bons points, ce n’est pas aider les premiers concernés mais diluer leurs luttes dans l’acide de la suprématie blanche en laissant des personnes issues du groupe majoritaire orienter leurs marches, imposer le champs lexical à utiliser ou ce qu’il revient de revendiquer ou non.

“Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir.” Frantz Fanon

Je ne jetterai pas la pierre aux personnes issues des minorités qui anticipent les demandes de leurs sponsors blancs et invisibilisent les leurs pour ne pas les fâcher. Ces personnes, même si, après les trahisons de la gauche envers les mouvements de l’immigration post-coloniale depuis cinquante ans -avec la marche de 1983 récupérée et étouffée par le PS-, elles, ne peuvent plus dire “nous ne savions pas”.

Combien de ces médias, partis ou organisations de gauche ont dans leur état major des personnes non blanches issues des mouvements de lutte des minorités racisées? ZÉRO. Les rapports de domination au sein même de la presse étaient déjà au cour de son fonctionnement depuis le XIXè siècle. Comme le décrit Gérard Noiriel dans son "Le Venin dans la plume" dans lequel il cite Christophe Charles: "Comme le note Christophe Charles, ce sont les journalistes et les écrivains issus des milieux favorisés qui monopolisaient les postes les plus prestigieux, car ils étaient les plus aptes à se plier aux règles mondaines de la haute société" Aujourd’hui, ces mêmes rapport de domination subsistent et sont encore plus ancrés avec la crise de la presse et sa concentration entre les mains d'une poignée de milliardaires. Les Arabes, les Noirs, les Musulmans peuvent faire du reportage, rapporter des faits divers. Mais rares sont ceux qui peuvent exercer leur métier de journalistes pour faire de l’investigation ou tenir les postes clés dans la chaîne de production de l’information et sa hiérarchisation. Il serait impensable qu’ils influent sur le débat public ou orientent le lecteur vers ce qu'ils estiment être prioritaire de part leurs sensibilités de personnes issues de l'immigration.


Malcolm X (1925–1965)

Au sujet de la camaraderie ou la convergence des luttes, bien des leçons sont encore à enseigner tant la naïveté politique si ce n'est l'aliénation sont de mise. Malcolm X ou Frantz Fanon l’ont déjà fait et les leçons retenues sont inversement proportionnelles au nombre de citations qu’on utilise sans les appliquer. On peut tout de même être optimiste au vu des personnes qui ouvrent les yeux et finissent par prendre position publiquement sur les coulisses de manifestions ou marches organisées ou facilitées en sous main par des leaders de la gauche, aidés en cela par leurs agents issus des minorités et/ou des quartiers populaires. Le sort de ces derniers est déjà joué d’avance, on se servira d’eux et on les remplacera par d’autres comme on s’est servi de leurs semblables à droite.

Comment penser un instant que conservateurs comme libéraux seraient prêts à remettre en cause le privilège blanc dont ils bénéficient?

Comment penser un instant que conservateurs comme libéraux seraient prêts à remettre en cause le privilège blanc dont ils bénéficient, au profit de populations qu’ils voient, chacun à sas manière, intrinsèquement comme inférieures? La droite et ses variantes les voient comme “des gens qu’on ne peut intégrer à cause de leurs gênes ou leurs valeurs inférieures”, la gauche comme “des gens qu’il faut libérer de leur propre sort”. Dans les deux cas, ces populations racisées ne peuvent en aucun cas se hisser à niveau standard par elles mêmes.

Par ailleurs combien de ces médias, partis ou organisations de gauche ont dans leur état major des personnes non blanches issues des mouvements de lutte des minorités racisées? ZÉRO.

Il n’est donc pas étonnant de les voir inviter les musulmans, les noirs, les arabes ou les roms pour qu’ils viennent témoigner de leur expérience du racisme mais jamais de leur expertise sur comment le combattre. L’émission ou la campagne typique, c’est de voir un(e) arabe ou un(e) musulman(e) raconter sa souffrance puis de donner la parole à un sociologue ou à un juriste blanc pour donner son analyse, actant de fait que la légitimité intellectuelle ne peut être que blanche. Cette gauche, même la plus radicale, enferme donc ces personnes dans le rôle de témoins passifs de l’histoire alors que les blancs, malgré leurs désaccords, en demeurent les acteurs principaux et ceux qui la racontent par la suite.



Malek Bennabi (1905–1973)

L’intellectuel algérien Malek Bennabi le décrit très bien dans son livre “La Lutte Idéologique”: “…Nous constatons, à titre d’exemple, comment, en participant au combat contre le colonialisme aux côtés des colonisés, son action se limite exclusivement au seul domaine politique. Il se retire et s’en lave les mains dès que ce combat prend l’allure d’une lutte idéologique, comme s’il n’en avait cure, ennuyé par sa nouvelle tournure. Il pense, en d’autres termes, que l'homme colonisé a le droit de se défendre tant que cette défense se limite strictement au champ politique, mais, une fois transposée au domaine des idées, il estime que cet homme a mis son nez dans un champ auquel il n’a pas droit.”

L’autonomie de la réflexion à l’action est une urgence absolue. Penser le monde et comment accéder à l’équité, conceptualiser les stratégies à adopter et les modalités tactiques pour parvenir à des objectifs précis, les choix des modalités d’action et la définition du succès ou non de ces luttes, ne peut revenir qu’aux premiers concernés et non à leurs alliés. Ces derniers ne peuvent avoir qu’une place, qu’un seul rôle, celui de soutiens tactiques, rien d’autre.

La gauche blanche est une entrave tant qu’elle ne changera pas son rapport aux non blancs. Le dire c’est s’isoler du troupeau mais lorsque celui-ci avance vers l’abattoir de l’histoire, on ne peut que prier pour lui.


*Texte publié le 19 Novembre 2019

bottom of page